— Chapitre 6 —
Au cœur du combat
Coincé dans un des modestes lits superposés en bois, Jim, allongé sur le ventre, grignotait un morceau de pain recouvert de marmelade au goût de kérosène, agrémenté d’un petit morceau de fromage. Le cantonnement de son unité venait d’être installé à Arras après les déboires au Labyrinthe. Le sapeur qui avait accroché quelques affaires à l’extrémité de sa couche, se saisit de sa chemise et l’enfila. Il allait prendre ses fonctions dans l’équipe de nuit. Ses compagnons vaquaient encore à leurs occupations. Tandis que les uns somnolaient, les autres lisaient ou discutaient. Riant de bon cœur autour d’une table, Lofty jouaient aux cartes avec trois autres gars.
Peu avant 22 heures, les 15 sapeurs de la 1re équipe de la 1re section, à laquelle faisait partie Jim et Lofty, se rassemblèrent pour rejoindre le front à pied. Menés par le sergent Clarke, ils traversèrent les rues d’Arras qui présentaient un terrible spectacle de maisons éventrées ou écroulées. Les Néo-Zélandais gagnèrent ensuite le village de Saint-Nicolas au nord de la ville et empruntèrent ce qui restait de la route d’Arras à Bailleul, longue ligne droite trouée par les obus qui les mena vers les tranchées de leur secteur. Chantecler s’étendait au nord de la Scarpe, la rivière canalisée qui coulait au nord d’Arras, entre les villages de Roclincourt au nord et de Saint-Laurent-Blangy au sud. Les tranchées étaient à cet endroit les derniers vestiges des anciennes positions françaises alors que de nouvelles lignes creusées par les Britanniques apparaissaient déjà. Jim et Lofty vinrent relever l’un des groupes de tunneliers de l’après-midi qui avaient œuvré de 15 heures à 23 heures. Eux-même seraient remplacés par l’une des équipe du matin à partir de 7 heures. Cette organisation du travail, qui consistait à faire tourner les équipes sur un poste de huit heures, assurait un combat continu, 24 heures sur 24, 7 jours sur 7.
Pour être au plus près des opérations, quatre officiers, un pour chaque section de la compagnie, restaient dans les premières lignes, où ils vivaient dans un abri souterrain situé au centre de la zone de combat. Leur situation très exposée imposait un rythme de travail différent du reste des tunneliers. Aussi, ces officiers travaillaient trois jours avant d’être relevés et de bénéficier de trois jours de repos à l’arrière. La mission qu’ils s’étaient vu confier, était de faire reculer leur adversaire vers le centre du no man’s land et de libérer la ligne de front d’un potentiel danger de mine. Le réseau laissé par les Britanniques se cantonnait dans la partie nord de Chantecler où avaient été creusés six tunnels principaux répertoriés de J1 à J6 ; « J » étant la dénomination de ce secteur dans le découpage officiel du front en usage pour les compagnies de tunneliers. Seules les galeries J4 et J6 à l’extrémité nord du secteur paraissaient avoir un semblant d’organisation avec une galerie de communication. Les résultats d’écoutes, fournis par les hommes de la 185e compagnie, indiquaient que le no man’s land était dans cette zone à l’avantage des Allemands. Leur pic résonnait même dans les abris souterrains les plus proches de la première ligne[1]. Les Néo-Zélandais allaient développer les tunnels existants pour affronter directement leur adversaire et le forcer à se replier. Plus au sud, le sous-sol était vierge de toute occupation. Pour protéger les tranchées en surface, un système de défense souterrain était en préparation afin de créer une barrière de galeries facile à faire sauter en cas d’approche ennemie.
Jim et Lofty donnèrent leurs premiers coups de pic dans l’une des ramifications de la galerie J4 poursuivant le travail de leurs homologues britanniques. Depuis la tranchée, ils étaient descendus par une galerie inclinée d’une douzaine de mètres de long aboutissant à un puits de plus de six mètres de profondeur. En bas de cet accès vertical se développaient trois petits tunnels situés à une vingtaine de mètres sous la surface[2]. La lumière des bougies qui se reflétait naturellement contre la craie blanche, suffisait à éclairer le réseau. Jim avait pris le premier tour de creusement. Il donnait de petits coups contre la paroi devant lui s’arrêtant de temps en temps pour écouter. Le manque de place ne lui convenait pas. L’étroite galerie le fit changer à plusieurs reprises de posture, tantôt accroupi, tantôt à genoux. Derrière le sapeur, Lofty se chargeait d’évacuer les gravats. En les ramassant soigneusement, il les plaçait dans des sacs en toile, les mêmes qui étaient utilisés pour renforcer le parapet et le parados des tranchées. Volontaires et probablement récompensés d’une ration supplémentaire, deux soldats d’infanterie issus de la 5e division de l’armée britannique, en place dans le secteur en surface, transportaient les sacs jusqu’au puits où ils étaient hissés grâce à un treuil, puis camouflés dans les tranchées ou évacués vers l’arrière. Surnommés les « Treillis », ces hommes rejoignaient le monde des tunneliers pour sept jours avant d’être remplacés par d’autres volontaires. Ils participaient au déblaiement des gravats dans les galeries ainsi qu’au transport des équipements, à travers les tranchées, vers les différentes entrées du réseau[3]. Alors que l’un des soldats s’avançait avec précaution de Lofty pour l’épauler dans sa tâche, un petit cri s’échappa d’une cage posée à même le sol. Un canari se tenait là sur son perchoir. En sacrifiant sa vie, l’oiseau donnerait le signal de la présence de gaz en sous-sol. Sa respiration et sa fréquence cardiaque plus rapide que celles d’un homme lui faisait ressentir plus vite les effets néfastes des gaz[4]. Malgré leur triste rôle, les tunneliers s’occupaient chaque jour de leurs petits amis. Jim aimait d’ailleurs se charger de cette tâche à la fin de son service. Il veillait à régulièrement couper les griffes de son canari pour éviter qu’en cas de décès par les gaz, le volatile ne resta accrocher à sa barre. Un officier anglais, intrigué par les oiseaux, prit même l’habitude de leur rendre visite. Il finit par seconder Jim qui le laissa distribuer les graines quotidiennes[5]. Sous terre, Lofty tapota l’épaule de Jim pour lui signifier qu’il prenait son relai au creusement. Jim acquiesça de la tête et bascula derrière son compagnon. Pour tenter de camoufler au maximum leur présence, les tunneliers évitaient toute communication orale sous terre. Le sergent Clarke faisait son apparition de temps à autre pour constater l’avancée des travaux et donner ses conseils chuchotés aux oreilles de ses hommes. Il amenait avec lui des gourdes d’eau ou, plus réconfortantes, de rhum. Les sapeurs se relayèrent jusqu’à l’arrivée de leurs remplaçants dans la matinée.
Le retour vers Arras se faisait par le même chemin. Les tunneliers mettaient près d’une heure pour regagner leur cantonnement. Ce trajet était pourtant bénéfique après le dur travail de creusement dans des galeries où il était impossible de se relever. Il permettait aussi aux hommes de s’aérer et de profiter pleinement de l’air libre après le temps passé confinés sous terre. Les journées encore froides du début de printemps firent beaucoup de malades dans les rangs des tunneliers. Le sapeur Tobin contracta même une pneumonie et dut être hospitalisé le 15 avril 1916 à Lucheux (Somme). Cinq jours plus tard, les officiers apprirent son décès, le premier de leur unité, mais aussi celui du tout premier soldat néo-zélandais sur le front occidental[6].
Le combat sous terre imposa un rythme spécifique de huit heures de travail, suivies de 16 heures de repos. Une certaine routine s’installa pour Jim et Lofty tant sur le front que dans leur quartier. Comme tout militaire, ils ne dérogeaient pas aux devoirs et obligations qui étaient les leurs et participaient aux taches journalières de leur unité, prenant soin du matériel et des lieux de vie. Avant de rejoindre leur couche, ils lavaient toujours leur uniforme couvert de poussière blanche. Ce fut un perpétuel combat car chaque jour, ils revenaient couvert de craie de la tête aux pieds.
Les mineurs allemands furent les premiers à passer à l’offensive ; peut-être avaient-ils remarqué l’arrivée de leur nouvel adversaire. Le 7 avril 1916, ils firent sauter la tête de l’une de leurs galeries à proximité de J4 [Carte 2], là où Jim et Lofty travaillaient la nuit[7]. Une violente explosion se produisit peu avant leur arrivée, à 22 heures 30. Évacuant le réseau dans cette zone, les Néo-Zélandais refermèrent, derrière eux, des petites portes en bois permettant de stopper la propagation des gaz provoqués par l’explosion. Après de longues minutes d’angoisse, tous les hommes furent portés présents. Dès le lendemain matin, tous les tunnels, à l’exception de J4, furent rouverts et ne présentèrent aucun dégât. Par mesure de sécurité, la galerie J4 resta fermée durant deux jours. Le 10 avril, les tunneliers l’ouvrirent et la ventilèrent pour chasser la présence des gaz. Le tunnel principal avait subi quelques dommages, mais les galeries secondaires étaient intactes[8]. Le secteur ne paraissait pas aussi calme que les hommes de la 185e compagnie de tunneliers l’avaient supposé. Cette action ne bouleversa toutefois pas les plans des Néo-Zélandais qui, pour mieux contrer leur adversaire, poursuivirent l’agrandissement de leur réseau sur l’ensemble du secteur. Les Allemands restèrent étrangement inactifs à la suite de leur opération. Les écoutes néo-zélandaises ne rapportèrent aucune activité. Le chantier avança donc plus vite, d’autant que les tunneliers adoptèrent leur propre technique de creusement, simple transposition des gestes que les engagés mineurs pratiquaient au quotidien dans les mines de Nouvelle-Zélande.
Carte 2. Opérations souterraines à Chantecler, 31 mars - 7 avril 1916
(Conception et réalisation : A. Byledbal)
Un certain nombre d’hommes souffraient en effet de rester accroupis ou à genoux dans les étroits tunnels pendant des heures[9]. Jim commençait même à ressentir ses vieilles douleurs au dos. Le sapeur John McManus, cet homme politique fervent défenseur des ouvriers dans le civil, rédigea et envoya au major Duigan une pétition signée par les membres de son équipe et d’autres sapeurs. La missive demandait l’autorisation d’expérimenter des tailles de tunnels plus grandes que celles apprises à l’école des mines. Les hommes pourraient alors creuser debout avec une plus grande efficacité[10]. Le major les autorisa à tester cette méthode, mais les prévint que les inspecteurs des mines y consentiraient à la condition que le travail fût effectué plus rapidement. John McManus en avait bien l’intention. Les dimensions réduites, prônées par les Britanniques, bridaient le travail des Néo-Zélandais qui ne dépassaient guère plus d’une centaine de mètres creusés par semaine. En adoptant leur propre technique de travail debout, les tunneliers réussirent à augmenter cette distance de 50 centimètres dès la fin avril. Mieux, ils établirent un record de creusement avec plus de 210 mètres en une semaine le mois suivant. Après deux contrôles successifs des inspecteurs des mines, leur méthode fut finalement validée[11]. Les Néo-Zélandais percèrent ainsi des galeries un tiers plus grandes que celles des Britanniques augmentant la hauteur de 1,30 mètres à 1,90 mètres et la largeur de 0,69 mètres à 1,06 mètres !
Début mai, l’unité planifia sa première attaque au moment même où, sur l’ancienne zone de combat des Néo-Zélandais, la 185e compagnie réussit, au prix d’un effort considérable sous terre, à contrecarrer l’avantage des mineurs allemands. Les erreurs de leurs homologues des antipodes furent récupérées au prix de violents combats. À Chantecler, les opérateurs néo-zélandais repérèrent le bruit des pics adverses et par la même occasion, les positions précises des tunnels ennemis. Trois zones furent ainsi localisées. L’une se trouvait au nord du secteur à proximité de J4. Les deux autres étaient situées au centre du secteur près des galeries J1 et J2. Les officiers firent préparer quatre camouflets, une petite charge d’explosif destinée à détruire ou à neutraliser une galerie mais qui, à l’inverse d’une mine, ne produisait pas d’entonnoir ou de cratère en surface. Il s’agissait, avec la pose de mines, de l’attaque la plus courante en sous-sol. Une charge fut placée dans l’une des ramifications de J4, une autre dans un des tunnels connectés à J1 et deux autres encore dans deux rameaux de J2[12].
George et Gerald, qui revinrent à leur tour de l’école des mines, furent jetés directement dans l’action. Ils s’occupèrent d’empiler les sacs imperméables remplis d’explosif dans la tête de l’une des galeries de J2. Ils manipulèrent au total près d’une centaine de ces poches représentant plus de 1 300 kilogrammes de poudre d’ammonal, un dérivé de nitrate d’ammonium[13]. Cet explosif, le plus couramment utilisé dans les compagnies de tunneliers, avait la particularité d’être stable lors de sa manipulation et rapide dans sa mise à feu. George et Gerald n’avaient pas participé à l’étape la plus difficile qui consistait à remplir ces sacs imperméables avec l’ammonal. En surface, leurs compagnons avaient dû transvider avec précaution la poudre, stockée dans des bidons en étain de plus de 20 kilogrammes chacun, car elle était très salissante et très difficile à nettoyer, surtout sur la peau où elle laissait des traces d’un jaune très vif. Une fois la charge installée, George et Gerald mirent en place les amorces et tirèrent les câbles électriques vers la surface. Ils formèrent ensuite un mur de sacs remplis de gravats. Cette technique, appelée le bourrage, forçait l’explosion vers l’avant et non le long de la galerie évitant ainsi des dommages dans son propre réseau. La mise à feu fut prévue le 5 mai à 22 heures. À l’heure H, toutes les charges explosèrent avec succès[Carte 3]. Les Néo-Zélandais n’avaient toutefois pas les moyens de connaître avec certitude la réussite de leur opération. Les camouflets ne causèrent aucun dommage dans les autres galeries néo-zélandaises. Seuls les tunnels principaux subirent quelques dégradations au niveau des plafonds. La charge en J4 avait été mal calculée et forma à la surface un entonnoir de 9 mètres de diamètre et de 4,5 mètres de profondeur.
Carte 3. Opérations souterraines à Chantecler, 8 avril - 5 mai 1916
(Conception et réalisation : A. Byledbal)
L’attaque semblait avoir fait des dégâts du côté allemand car on entendit distinctement l’ennemi près des galeries détruites. Les mineurs tentaient peut-être de secourir des hommes pris au piège sous terre, à moins qu’ils ne voulaient nettoyer rapidement leur système pour contre-attaquer. Aucune action ne fut toutefois menée sous terre dans les jours qui suivirent. Seul un intense bombardement fut déclenché le 7 mai sur les tranchées britanniques durant trois heures[14]. Aucun blessé ne fut à signaler du côté des Néo-Zélandais. Aucun dommage ne fut fait à leurs tunnels. En sous-sol, les Allemands faisaient toujours autant de bruit à proximité de J4. Les Néo-Zélandais ne pouvait pas avoir la certitude qu’il s’agissait bien d’hommes en train de creuser ou d’un simple leurre. Les combattants souterrains n’hésitaient pas à tromper les écoutes de leur adversaire en simulant le son du pic. Les tunneliers ne prirent aucun risque et planifièrent une nouvelle attaque. Le 11 mai, quatre camouflets furent préparés autour de J4. Le lendemain, ils furent mis à feu [Carte 4]. Encore une fois, les officiers avaient mal calculé le poids des charges dont trois remuèrent la surface. Les jours suivants, plus aucun bruit ne provint de cette zone. Les officiers supposaient que les galeries adverses avaient été mises hors d’action car les écoutes révélaient désormais la présence de l’ennemi au centre du secteur, de part et d’autre de l’ancienne route de Bailleul[15]. En explosant, les charges avaient complètement neutralisé toute possibilité d’action dans cette zone de la part des mineurs allemands qui continuèrent leurs opérations là où leur réseau était encore proche des lignes britanniques.
Carte 4. Opérations souterraines à Chantecler, 6 mai - 12 mai 1916
(Conception et réalisation : A. Byledbal)
Au centre de Chantecler, le système néo-zélandais était toujours en développement représentant une faille. George et Gerald qui travaillaient dans cette zone poursuivirent le creusement des galeries guidé par les écoutes. À la mi-mai, les opérations de l’adversaire oscillaient entre calme et creusement hostile à proximité des tunnels J3, J5 et J1, situés sous les vestiges de la route de Bailleul. Le 25 mai, George et Gerald furent notifiés, comme le reste de leur section, qu’ils changeaient de secteur dès le lendemain. La 2e section fut envoyée dans le secteur G, à Beaurains, au sud d’Arras, où elle releva les hommes de la 14e division de pionniers. Depuis l’arrivée des tunneliers à Chantecler, les pionniers avaient été placés sous leur autorité sur leur flanc sud, dans les secteurs I, H et G, situés au sud de la rivière Scarpe. Jusqu’à présent, leur travail avait été réduit au strict minimum : développer un réseau de défense et surveiller le sous-sol que les Allemands n’auraient pas encore creusé. Pourtant, à la fin mai, les pionniers les repérèrent à proximité de l’une de leurs galeries[16]. Les officiers de l’unité néo-zélandaise envoyèrent la 2e section, plus expérimentée que les pionniers, dans l’optique d’un début de combat sous terre dans cette zone. Le nombre de compagnies de tunneliers n’était toujours pas suffisant pour couvrir l’ensemble du front britannique.
L’unité néo-zélandaise perdit près de 80 hommes et ses travaux n’avancèrent plus aussi vite, d’autant plus que les mineurs ennemis firent une tentative d’attaque, infructueuse, près de J4[17]. Les Allemands étaient donc toujours présents au nord de Chantecler. Les Néo-Zélandais tentaient de les localiser lorsque l’artillerie adverse commença un intense bombardement le 2 juin. Toute la journée, une pluie d’obus s’abattit sur les tranchées britanniques[18]. Sous terre, les tunneliers avaient bien du mal à écouter, trompés par les vibrations des explosions en surface. Dans l’équipe de nuit, Jim et Lofty ne purent pas creuser. Il leur fut impossible de remonter les gravats à la surface. Ils se terrèrent dans leurs galeries en attendant la relève du matin. Le pilonnage continua sans interruption le 3 juin. Les écoutes ne révélèrent aucun signe adverse[19]. Si tout était calme en sous-sol, le secteur entrait dans son troisième jour de bombardement le 4 juin. Au soir, les obus tombaient toujours. Soudain, à 21 heures, quatre lourdes mines explosèrent. Le sol trembla. La terre s’éleva dans le ciel. Trois grands cratères se formèrent au centre du secteur J [Carte 5]. L’explosion des deux mines les plus au nord projeta tellement de craie que la première ligne de tranchées britanniques fut ensevelie. L’entonnoir le plus au sud fit effondrer le front. Un autre cratère se créa sur le flanc nord, dans le secteur K tenu par les hommes de la 184e compagnie de tunneliers. Le pilonnage allemand avait donc servi à camoufler les derniers préparatifs de leur offensive sous terre. Les Néo-Zélandais, dans leurs tunnels au moment de l’attaque, fuirent le plus rapidement possible vers la surface. Dans le no man’s land, l’infanterie allemande avait surgi. Aidée par la formation des cratères, elle s’introduisait déjà dans les lignes britanniques. En remontant à la surface, les tunneliers qui travaillaient sous la route de Bailleul, virent les soldats britanniques courir en direction de la première ligne. Un nuage de poussière blanche flottait encore dans l’air. Des tirs de fusils résonnaient. Des balles sifflaient. Les Néo-Zélandais aperçurent des soldats allemands qui investissaient les tranchées britanniques[20]. Désertant le front, ils apprirent seulement le lendemain matin que les hommes des régiments Norfolk et Royal Warwickshire avaient repoussé le raid au prix de nombreuses pertes[21]. Cette nuit-là, Jim et Lofty étaient restés dans leur quartier à Arras écoutant le récit de leurs compagnons qui l’avaient échappé belle. Les premières équipes de l’unité néo-zélandaise revenues à Chantecler, découvrirent un paysage complètement bouleversé par les trois imposants cratères, sorte de balafres blanches sur la terre boueuse du no man’s land. Des corps sans vie gisaient sur le champ de bataille alors que les visages des survivants trahissaient une immense fatigue. Sous terre, le réseau présentait des effondrements dans plusieurs galeries situées à proximité des cratères. Quatre jours furent nécessaires pour les réparer et les étayer.
Carte 5. Opérations souterraines à Chantecler, 13 mai - 16 juin 1916
(Conception et réalisation : A. Byledbal)
Les officiers étudièrent les trois entonnoirs qu’ils baptisèrent Cuthbert, Clarence et Claude du nom d’une chanson populaire humoristique célèbre d’Arnold Blake, composée en 1912[22]. Cuthbert fut attribué au cratère le plus au sud, qui mesurait plus de 43 mètres de diamètre et atteignait une profondeur de plus de 7,5 mètres. D’après les officiers, la mine aurait été placée à plus de 16 mètres de profondeur. Clarence, le plus petit des trois, était situé à proximité de l’ancienne route de Bailleul. Il formait un ovale de plus de 41 mètres de diamètre et de plus de 9 mètres de profondeur. Sa forme indiquait que la charge explosive avait été placée le long de la galerie. Claude, le plus au nord et le plus important, atteignait un diamètre de près de 45 mètres et une profondeur de plus de 11,5 mètres. Les officiers supposait que la mine avait été installée à plus de 24 mètres sous terre. La compagnie néo-zélandaise subit à Chantecler son deuxième revers et éprouva bien des difficultés à mener un combat sous terre efficace. Par précaution, un camouflet fut explosé dans une des ramifications de J1, située au sud de Clarence, le 16 juin, à 14 heures, pour éviter une nouvelle attaque ennemie sur la ligne de front [Carte 5]. Néanmoins, à aucun moment, les Néo-Zélandais n’avaient réussi à localiser les travaux adverses. Les mineurs allemands avaient tout simplement attiré leur attention au nord du secteur tout au long du mois d’avril et au début du mois de mai. Cette période leur avait donné assez de temps pour se rapprocher au plus près de la ligne de front britannique et planifier une attaque en collaboration avec les troupes en surface.